ILS sont nés en pleine capitale pour la plupart, et pourtant, ils sont sans actes de naissance. Nombreux ne vont pas à l'école faute du précieux sésame. Qui sont ces enfants ? Où les trouve-t-on ? Comment en est-on arrivé là ? Quelles solutions pour rétablir ces enfants dans leurs droits ?
LA pluie qui s'abat ce mardi sur Libreville n'épargne pas le Cap Santa Clara. D'ailleurs, de nombreux petits cours d'eau sortent de leur lit et inondent la route de terre qui y conduit. Heureusement, le 4x4 qui mène les équipes de L'Union est à toute épreuve. Destination : le lieu-dit Mabandja, dans le 1er arrondissement de la commune d'Akanda, et donc aux portes de Libreville. Dans un autre contexte, le lieu est paradisiaque avec ses énormes manguiers qui ploient sous le poids des fruits et sa vue sur la plage de sable blanc. Et même, ces enfants jouant pieds nus dans la cour apportent une touche exotique au tableau. Mais trêve d'égarement. Il y a, à Mabandja, de nombreuses familles dont la particularité est d'avoir au moins un enfant sans acte de naissance. Ainsi, des quatre enfants de Sheila Ndjendagoye (28 ans), l'aîné de 12 ans n'est pas officiellement reconnu comme Gabonais. La faute à la négligence du père. Une situation qui fait souffrir la mère d'enfants.
Alors pour qu'il aille à l'école, elle a négocié avec le directeur. ''La difficulté ce sera quand il lui faudra passer l'examen.'' La dame a tenté, durant de nombreuses campagnes passées, de faire établir un acte de naissance à son fils. Sans succès. ''La campagne était arrivée jusqu'à l'école, mais elle était payante. On nous avait dit d'apprêter 10 000 francs pour les frais d'ouverture du dossier et 80 000 francs pour le dossier lui-même. Faute d'argent, je n'ai pu le faire.'' Chancillia Mombo est aussi de Mabandja. À 24 ans, elle a quatre petits et un autre est en route. Au nombre de ceux nés, un seul a son acte de naissance. L'aînée de ses enfants, une fillette de 8 ans, ne va pas à l'école faute de ce papier. ''L'année dernière, le directeur a refusé de la prendre sans acte de naissance.'' Fort de cette information, elle n'a pas retenté l'expérience de faire inscrire son enfant cette année dans l'école du coin. Et si ses mômes n'ont pas d'acte de naissance, la faute à son acte de naissance à elle qui serait un faux. ''Quand je suis partie à la mairie pour faire établir l'acte de naissance à mon enfant, on m'a dit que mon acte était un faux.'' Elle se l'est tenu pour dit et n'a plus essayé de faire enregistrer ses enfants à l'état civil.
Comme Sheila, elle a misé sur les campagnes pour régulariser sa propre situation et celle de sa progéniture. Mais une fois encore, s'est posé un problème de finances. ''Je n'avais pas les moyens de le faire.'' Dans le village, il y a aussi Florence Ngolet, 30 ans et 7 enfants dont le dernier, un bébé d'un an, est sans acte de naissance. ''J'ai accouché à Jeanne Ebori avec ma carte Cnamgs, mais faute d'argent pour payer la facture de 70 000 générée par mon séjour là-bas, j'ai signé un engagement pour retirer la déclaration de naissance quand j'en aurai.'' Sauf que depuis sa sortie d'hôpital, la dame n'a eu aucun argent pour aller récupérer les papiers du petit. La suite est donc évidente : un autre Gabonais sans existence juridique. La situation de la sœur de Florence, Crépine Ngodet, 35 ans, 5 enfants, est plus alarmante encore car aucun parmi ces derniers n'a d'acte de naissance. Et surtout aucun n'est scolarisé. ''J'ai accouché mes enfants à la maison et je ne savais comment faire pour les actes de naissance''. L'on comprend aisément que ce n'est pas seulement la faute à la pluie si tous sont à la maison ce matin. Pourtant Freddy, l'aîné de 11 ans de Crépine, a de grands rêves. ''Je veux être footballeur quand je serai grand''. Encore faut-il qu'il soit reconnu citoyen de son pays.
Et si tel est le cas ici à Mabandja, qu'en est-il du reste du pays ? Autre chose, comment ceux qui vont à l'école font-ils, s'ils n'ont pas d'acte de naissance non plus ? À l'école publique du Cap Santa Clara, le nouveau directeur est ouvert. Fabrice Parfait Menvane Ntoutoume reçoit les enfants sans actes de naissance du préprimaire jusqu'en 4e année. ''Il arrive qu'au niveau des établissements, on accepte les enfants en 5e année sans acte. A charge pour le parent de faire un engagement sur l'honneur, lettre que l'on joint au dossier du CEP pour ne pas pénaliser l'enfant.''
Mais doit-on vivre de trucs et astuces pour jouir d'un droit aussi fondamental que la détention d'un acte de naissance ?
Line R. ALOMO
Libreville/Gabon