Paru il y a quelques jours, le tout dernier essai de l'ancien Premier ministre dresse un tableau de l'évolution de notre appareil productif de l'indépendance à nos jours.
L’Union : "L'économie gabonaise" est le titre de votre tout dernier essai. Quelle est la particularité de ce troisième ouvrage sur notre économie ?
Raymond Ndong Sima : En effet, j’ai écrit trois essais dans lesquels j’aborde les questions économiques. La particularité de ce troisième essai est que j’y propose un angle de lecture différent de ceux qu’on utilise habituellement pour formuler une appréciation de l’évolution de l’économie gabonaise. C’est une occasion de ramener en surface des questions sur lesquelles les avis sont tranchés alors que les faits et les arguments avancés poussent à s’interroger. Par exemple, sur la compétitivité de l’économie gabonaise, on a abondamment mis en cause les niveaux de salaires que l’État aurait laissé filer à la hausse. L’économie gabonaise ne serait donc pas compétitive du fait du niveau élevé de ses salaires. Or, il apparaît que, avant l’indépendance, une quinzaine d’unités de transformation dans le secteur forestier a fait faillite dans une période où le coût du travail était dérisoire. Alors, avons-nous bien identifié les causes de notre faible compétitivité et ne faut-il pas revisiter la question ? De même dans cet essai, l’accent est mis sur l’évolution des politiques économiques qui ont été suivies. On y distingue trois phases qui correspondent respectivement à une attitude attentiste de l’État, suivie d’un engagement volontaire dans le secteur productif et, finalement, avec les difficultés budgétaires de l’État, un désengagement avec un ensemble de privatisations. Là encore, il s’agit d’un éclairage sur la relation entre les ambitions d’aménagement du territoire avec la promotion d’activités dans toutes les provinces et la fragilité de ces politiques du fait de la dépendance de leurs financements aux recettes d’exportation.
Dans cette publication, vous évoquez, en effet, plusieurs projets de développement qui n'ont pas abouti. Selon vous, qu'est-ce qui n'a pas marché ?
Il y a en fait plusieurs choses qui n’ont pas marché. Et tout d’abord, de nombreux projets retenus n’étaient pas compatibles avec la démographie du Gabon. Faiblement peuplé, le Gabon n’avait aucune chance de réussir durablement dans les cultures de rente (cacao, café, palmier à huile) qui nécessitent une main-d’œuvre abondante et bon marché. La deuxième cause de l’échec d’une partie des projets, c’est leur gestion politisée à l’excès qui a conduit à des dérives dans les effectifs et dans les niveaux de salaires des cadres dirigeants. La troisième cause, c’est l’arrêt prématuré des subventions à des projets qui avaient besoin de temps pour arriver à leur vitesse de croisière. Tel a été le cas du projet d'héveaculture dont une partie des cultures était en cours de mise en place lorsque la crise s'est installée à partir de 1986. Or, avant d'entrer en production, ces arbres avaient besoin de cinq ans en moyenne pour atteindre une taille qui les rendait exploitables. La suppression des subventions a ainsi condamné une partie de ces cultures que l'entreprise n'avait plus les moyens d'entretenir. Elle a compromis les extensions des plantations qui devaient permettre d'atteindre un certain volume de production indispensable à la réalisation des économies d'échelle.
Pourquoi publier cet essai à la veille de la prochaine élection présidentielle ?
La publication de cet essai a en fait pris du retard. Il aurait dû paraître au milieu de l’année 2021 mais, à cause de la pandémie de Covid-19, je n’ai pas été en mesure de me rapprocher des éditeurs en France où on cherche habituellement à publier pour bénéficier de leurs réseaux de distribution. Cela dit, cette publication vient à point nommé et peut contribuer à placer le curseur sur des problématiques objectives et des questions de fond utiles dans une campagne électorale sérieuse.
Propos recueillis par Georges-Maixent NTOUTOUME-NDONG
Libreville/Gabon