Si les autres académies (l'Université Omar-Bongo et l’Université des sciences de la santé) sont touchées par le phénomène, à Masuku, il a pris, au fil des ans, des proportions inquiétantes. Ce qui a conduit le CNOU et le rectorat à réagir.
En 10 ans, le bizutage dans les universités gabonaises a pris un tournant inquiétant. Au point où la violence et le drame y sont presque banalisés. L’Université Omar-Bongo (UOB), l’Université des sciences de la santé et l’Université des sciences et techniques de Masuku (USTM) sont touchées par un phénomène dont l'intensité diffère selon les lieux. À l'UOB, le CNOU a constaté que le saupoudrage de farine, la diffusion des fausses informations aux nouveaux étudiants, les séances d’acclamations et de chants pendant les cours pour décourager les nouveaux étudiants, la disparition des copies de devoir de ces derniers par les anciens par le canal du chef d’amphi ou le versement de sommes d'argent pour accéder à l’amphithéâtre par les nouveaux étudiants sont fréquents. Dès qu'on évoque l'Université des sciences de la santé (USS), on monte d'un cran.
Les anciens arrachent aux "bleus" (nouveaux étudiants) leur argent de taxi, les privent des cours de support. Les altercations et la violence physique sont devenues monnaie courante et font intervenir des personnes externes (bandits du quartier). Comme le paiement d’une rançon pour s’attirer la sympathie des bizuteurs. Mais c'est Masuku qui détient la palme d'or. Injures proférées à l’endroit des nouveaux bacheliers, agression physique des "bleus" pouvant aller jusqu’au drame, exercice de pompes imposé aux nouveaux, nuit passée sous le lit de sa chambre pour le néobachelier, et ce jusqu’au matin, etc., sont quelques-unes des humiliations que les anciens à leurs camarades. Au reste, tous sont affublés d'un sobriquet évocateur : "caciques" pour ceux de 2e année, "anciens" (3e année), "fossiles" (4e année), "momies" (5e année), "cosmos" (6e année), "univers" (7e année) et "esprits" au-delà.
Ce climat délétère a ainsi conduit le CNOU à porter son choix sur l'USTM pour lancer, vendredi passé, une campagne de sensibilisation contre le bizutage et les actes de violence dans les trois universités. Car, les conséquences du bizutage, au sein de Masuku, sont désastreuses. Il y a quatre ans, un étudiant a trouvé la mort sur les bords de l'Ogooué, jusqu'à ce jour, le corps n'a pas été retrouvé. Selon les éléments de l'enquête, les autres étudiants l'auraient entraîné aux alentours du fleuve, à un kilomètre environ de l'USTM. Pour y être brimé. Ils étaient partis à onze. Seuls 10 d'entre eux reviendront de cette triste sortie. La plainte contre X n'a toujours pas abouti. Puis, ce fut au tour d'un autre jeune d'être brûlé au second degré au niveau des organes génitaux. Ses tortionnaires n'avaient pas trouvé de mieux que de lui verser de l'eau chaude sur le corps.
DE L'ACTION• Au fil des années, toutes ces histoires (le plus souvent non résolues) ont fini par entacher la réputation de l'université de Masuku. En 2020, 1 300 étudiants avaient demandé à rejoindre l'USTM. Cette année, moins de 200 étudiants l'ont choisie. Parce que des parents, craignant que leurs enfants, encore très jeunes, ne soient pas en mesure de se défendre, préfèrent les garder auprès d'eux. "En termes d’intensité d’actes de bizutage dans les trois universités, force est de constater que le degré de violence est beaucoup plus accentué à l’USTM", reconnaît le CNOU.
Les effets de ce bizutage sont multiples. L'abandon de la filière choisie pour embrasser une formation qui ne répond en rien au background scolaire, la peur de se rendre aux cours, le développement de maladies psychiatriques (peur, angoisse et stress permanent) ou le suicide sont les plus courants. Le lancement officiel de la première phase de la campagne de sensibilisation, le 18 mars passé à l’université de Masuku, a permis au Centre national des œuvres universitaires, en collaboration avec le rectorat de faire connaître son plan de lutte contre le bizutage.
Une cellule d’écoute et de veille au niveau du centre médical de l’USTM (composée d’une infirmière, une assistance sociale et un psychologue) est créée. Deux numéros d’appel pour les victimes et les dénonciateurs d’actes de bizutage ou de violence (077 09 79 52/065 21 08 81) ont été mis en place. La sensibilisation sur la lutte contre le bizutage et les actes de violence dans le campus se poursuit au travers d'affiches et de prospectus. Simplement pour briser le silence. Cette campagne se poursuivra dans les autres universités.
Serge A. MOUSSADJI (avec N. O.)
Libreville-Franceville/Gabon