Alors que le gouvernement vient de prolonger pour 6 mois supplémentaires l’administration provisoire de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), Christophe Eyi dresse, dans cet entretien exclusif, le bilan des actions menées et des réformes engagées pour redresser l’organisme de sécurité sociale.
L’Union : L’administration provisoire de la CNSS a officiellement pris fin le 30 juin dernier. Mais le gouvernement a décidé de la prolonger de 6 mois supplémentaires. Cependant, au terme de votre mission de redressement, comment se porte aujourd’hui financièrement la CNSS ? Est-elle définitivement sauvée de la « faillite » annoncée par le cabinet Finactu ?
Christophe Eyi : Au terme de cette période, la solidité financière et la forte capacité de reprise de la CNSS ont été démontrées à travers les résultats obtenus en quelques mois seulement en observant plus de rigueur dans la gestion des produits techniques et en exerçant l’ensemble des contrôles prévus par les dispositions légales et les procédures internes. A ce stade, on peut déclarer que la situation a non seulement été stabilisée, mais la reprise est amorcée. Il faudra cependant maintenir pendant au moins 3 ans les efforts et la rigueur actuels pour atteindre les fondamentaux financiers imposés par la CIPRES, notamment ceux en rapport avec la liquidité. La faillite de la CNSS n’est pas envisageable au regard de son rôle au plan national et des conséquences qu’engendreraient une telle situation. Par sa décision de placer la CNSS sous la supervision directe de 2 membres du gouvernement à la tête du Comité de Surveillance et de contrôle de l’activité des caisses, le Chef de l’Etat a mis fin à une crise de croissance qui a pendant longtemps éloignée cette institution de son cœur de métier.
Quelles sont les actions concrètes qui ont été posées par vos équipes afin de redresser l’organisme ?
Il est important de rappeler que les choix stratégiques faits depuis près de 10 ans n’ont malheureusement pas porté sur l’amélioration de l’activité de la CNSS. Les investissements structurants nécessaires à l’amélioration de l’efficacité opérationnelle, à la maitrise des charges et à l’amélioration du recouvrement n’ont pas été conduits à leur terme. Plus grave, l’accumulation de 5 ans de retard dans la prise en charge des différents engagements et le recours à du financement inadapté comme solution, ont conduit la caisse à une crise de liquidité qu’il a fallu régler en priorité dès le démarrage de l’Administration provisoire. Justement, qu’avez-vous entrepris dans ce sens ? Ainsi, les actions prioritaires et urgentes ont porté sur la recherche de marges de manœuvre de trésorerie pour faire face à la charge des prestations. De ce point de vue, les banques ont été particulièrement coopératives en consentant des durées et des taux plus adaptés aux flux de trésorerie de la CNSS pour les crédits qui ne se remboursaient plus. Dès le 2ème mois de l’Administration provisoire, les contrôles sur l’activité des caisses ont également permis d’identifier des sorties frauduleuses de montants importants.
A combien évaluez-vous ces détournements ?
Sur les deux derniers trimestres de 2022, le montant des vols à la caisse et des détournements des fonds des prestations avoisine les 300 millions de FCFA. Il faut également retenir la correction dès le mois de juin 2022, d’un important dysfonctionnement du logiciel de paie, qui a permis pendant plusieurs années à tous les collaborateurs de percevoir l’équivalent de 2 mois de salaire non justifiés lors des départs en congés. Sur le seul mois de juin 2022, c’est 180 millions de FCFA d’économies réalisées et sur les 12 mois d’Administration provisoire, l’économie sur la masse salariale a été évaluée à 4,7 milliards de francs. La recherche de solution d’amélioration de la situation de trésorerie nous a également conduits à renforcer les actions de recouvrement grâce à plusieurs leviers : la multiplication des actions de recouvrement forcé, une campagne d’abattement exceptionnel des pénalités en fin d’année 2022, la création d’une cellule spécialisée dans le recouvrement des créances anciennes, et les campagnes d’immatriculation à Akanda, Bikélé, Owendo et dans la ZES de Nkok. Les produits techniques engrangés au titre de ces différentes actions s’établissent à plus de 3 milliards FCFA, et plus particulièrement celle relative à la campagne d’abattement spécial des pénalités de décembre 2022. Sur le plan de la maitrise de la charge des prestations, les paiements sur les comptes des bénéficiaires n’ayant pas fourni de preuves de vie ont été interrompus, occasionnant une économie d’environ 249 millions de FCFA sur le premier semestre 2023.
Y a-t-il d’autres réformes qui ont été lancées ?
Sur le moyen terme, s’il y’a une réforme à retenir, c’est l’avancée du point de vue de la réforme paramétrique. Celle-ci s’illustre par le passage au parlement des nouvelles dispositions du code de sécurité sociale. Les textes revus permettent de s’arrimer au socle juridique de la Conférence Interafricaine de Prévoyance Sociale et propose plus de réactivité et de flexibilité en permettant de légiférer par ordonnance sur le volet des paramètres. Cette grande nouveauté permet d’adapter les paramètres à l’environnement économique ou démographique, voire à la situation de la Caisse. Il s’agit à titre d’exemple de paramètres tels que le plafond de l’assiette de cotisations ; le taux de liquidation des prestations sociales par branche ; les durées de cotisations ouvrant droit aux différentes prestations sociales. Les paramètres retenus par le comité sur les réformes paramétriques et qui seront discuter avec les partenaires sociaux permettront le retour à l’équilibre sur 3 ans en maintenant les efforts de réduction des charges de gestion de 7 % par an sur la même période. L’autre grande nouveauté concerne la gouvernance de la CNSS qui prévoit la désignation du PCA parmi les administrateurs pour une durée maximum de 3 ans non renouvelable. Par ailleurs, il est également prévu la nomination du Directeur Général au terme d’un processus d’appel à candidature ouvert.
Selon plusieurs indiscrétions, l’un des services qui fait cruellement défaut à la CNSS est le service informatique dont on dit être le point central de toutes les malversations…
S’agissant du domaine informatique, il faut noter, effectivement, que le système d’information demeure l’un des points de faiblesse majeur de l’institution. Les investissements réalisés au fil des années en vue d’améliorer la qualité du système d’information n’ont pas été menés à leur terme malgré des choix structurants. La bonne surprise a été la bascule vers un nouveau système d’exploitation des prestations qui a coïncidé avec la mise en place de l’Administration provisoire, qui par ailleurs a considérablement facilité la conduite des chantiers du comité dédié à l’audit et à la fiabilisation du système d’information. Ce comité a procédé à des croisements de bases de cotisants de la CNSS, de la CNAMGS, de la CPPF et des impôts de manière à identifier des écarts. Le contrôle a également consisté à rechercher des anomalies dans la base des assurés et bénéficiaires des prestations, notamment : les doublons, les décédés et plus généralement les non éligibles. Ces contrôles n’ont pas révélé d’anomalies majeures. Néanmoins ils ont permis d’élargir les assiettes de recouvrement au sein de la CNSS et de la CNAMGS. L’état des accès au système d’information, de même que les habilitations aux applications sensibles ont été analysés et corrigés lorsqu’ils plaçaient les agents en situation d’autocontrôle. Le comité dédié à l’informatique a également révélé des faiblesses au niveau de l’infrastructure informatique. En effet, le parc informatique doit non seulement être renouvelé, mais aussi complété par de nouvelles machines pour les agents non dotés. Le système de sauvegarde doit également être renforcé, notamment sur la partie relative au plan de continuité des activités. En définitive, le volet informatique, à l’instar de celui concernant les réformes paramétriques est déterminant pour l’avenir de la CNSS. Le groupe de travail sur la fiabilisation du système d’information a entrepris d’élaborer une stratégie globale comprenant l’amélioration du système d’information, l’amélioration des infrastructures de stockage de données et un processus complet de transformation digitale en vue d’améliorer la qualité des traitements et éradiquer la fraude.
S’agissant du paiement régulier des prestations sociales, quelles sont les améliorations et les innovations que vous avez apportées ?
Dès le mois d’aout 2022, toutes les pensions ouvertes ont été payés sans retard. Seuls les paiements des pensions à l’étranger continuent de connaitre quelques perturbations en raison des contraintes imposées par la banque centrale qui exigent pour chaque bénéficiaire un dossier complet à jour à chaque transfert. Cette situation complique le traitement de notre partenaire bancaire qui auparavant procédait par transferts groupés sur la base du seul listing de la CNSS. Nous avons entrepris la généralisation de conventions de prise en charge des paiements des pensions par les caisses des pays de résidence de nos bénéficiaires étrangers. Ces conventions qui existaient avec le Sénégal, le Burkina Faso et le Mali sont en cours de finalisation avec 6 nouveaux pays. Nous poursuivons les discussions avec les caisses françaises pour obtenir des facilités car il s’agit de la population la plus importantes des bénéficiaires étrangers avec 1300 retraités. Il est également important de rappeler que la CNSS totalisait jusqu’à 5 ans de retard de paiement de prestations. La décision du Chef de l’Etat visant l’accélération du paiement des droits en retard a permis à environ 5000 retraités de percevoir leurs pensions dès le mois de janvier 2023. Dans le même élan, environ 2800 droits supplémentaires ont été payés au titre des instances des derniers mois, portant à 7800 le nombre de dossiers régularisés sur 12 mois. La mise en œuvre de la décision du Chef de l’Etat se poursuivra au mois de juin 2023 avec le paiement des indemnités journalières de maternité en retard.
Et pour les retraités ?
L’ouverture des paiements des 7800 nouveaux retraités sur les 12 derniers mois a malheureusement occasionné un afflux de bénéficiaires aux caisses de la CNSS. Ce sont aujourd’hui 13000 retraités qui choisissent d’être payés en espèces et se déclarent réfractaires à la bancarisation compte tenu des frais bancaires. La qualité de service s’en trouve considérablement dégradée et la CNSS, de même que les bénéficiaires des prestations sont exposés à des risques importants de braquage. Nous nous voyons contraints de recourir, grâce à un partenariat bancaire, à la mise à disposition de cartes de retrait qui permettront à nos bénéficiaires de disposer de leurs sur des guichets automatiques de banque. Cette solution qui est en cours de déploiement depuis le début du mois de juin rencontre en franc succès chez les bénéficiaires qui ont déjà été approchés. Les détenteurs de cartes pourront disposer de leurs pensions aussitôt que les virements seront faits par la CNSS, plutôt que de subir le désagrément de guichets saturés en période de paiement. Ce service dont les frais sont supportés par la CNSS, permet de réduire d’un tiers les couts logistiques déployés pour le paiement des 13 000 retraités à nos caisses dans tout le Gabon.
D’après l’ancienne équipe, le non versement des cotisations sociales des employés par certaines entreprises (environ 700) s’élevait à près de 300 milliards de francs. A combien s’élève aujourd’hui cette dette ?
Il s’agit malheureusement de créances dont moins d’un tiers du montant peut être jugé recouvrable et pour lesquelles nous avons mis en place une cellule dédiée qui sur le premier semestre a recouvré 489 millions FCFA. Pour le reste, il s’agit de créances quasiment irrécouvrables composées de pénalités et majorations sur des structures en faillite ou qui ont cessé leurs activités depuis plusieurs années. En définitive, le potentiel de recouvrement se trouve dans les campagnes d’immatriculation lancées dans le grand Libreville et bientôt dans les grandes villes en province. Il faut également retenir la signature avec le PMUG au mois de mai d’une convention de prise en charge des déclarations et des paiements des cotisations de leurs agents revendeurs. Il s’agit de 800 travailleurs qui bénéficieront des régimes de protection de la CNSS. Le même travail est en cours avec une enseigne dans la grande distribution et les maisons de téléphoniques qui sont ouvertes à la réalisation du même montage pour leurs délégué commerciaux.
A vous écouter, votre bilan paraît plus que satisfaisant. Alors comment expliquez-vous que les 2 syndicats-maisons et l’Association nationale des retraités du Gabon (Anareg) parlent plutôt d’un « échec » de votre mission ?
On pourrait difficilement imaginer que les choix faits en termes de gestion fassent l’unanimité. Néanmoins un travail colossal a été abattu par les collaborateurs de la CNSS. Sur les 12 mois, nous avons proposé une mise à jour des textes ; allégé le poids de la dette bancaire ; réduit les charges de fonctionnement de près de 15% ; augmenté le recouvrement de 8 % ; rattrapé pour près de 90% les 5 ans de retard de paiement des prestations ; identifié des cas graves de fraudes et respecté l’engagement de payer les pensions chaque 5 du mois. Nous avons également : repris les paiements des fournisseurs de services essentiels ; réalisé des investissements urgents pour améliorer les conditions de travail des collaborateurs ; rééquipé les entités du fonds d’action sanitaire et sociale. On ne peut pas parler d’échec, même s’il reste clairement établi qu’il faudra encore au minimum 3 années pour commencer à respecter les ratios clés de la CIPRES.
Ils évoquent notamment, le niveau élevé des plaintes clients, par exemple les retraités résidents en France, qui ne perçoivent plus leurs pensions depuis bientôt un an, les indemnités journalières de grossesse non payées depuis un an, l'explosion du nombre de réclamations liées à la délocalisation des paiements…et votre absence de dialogue. Que répondez-vous à toutes ces récriminations ?
Tout d’abord je souhaite rappeler que durant 12 mois, vous n’avez observé aucun mouvement d’humeur des retraités. Ils ont été payés à chaque échéance sans retard sur toute l’étendue du territoire et ils saluent la décision prise par le Chef de l’Etat de réformer la CNSS en profondeur. De plus, le temps de l’administration provisoire, ce sont 7800 nouveaux droits qui ont été payés à des retraités en attente depuis plusieurs années pour certains. Seuls les 1400 bénéficiaires résidant en dehors de la zone Cemac subissent le décalage des paiements de leurs droits en raison du temps consacré par les banques au contrôle des justificatifs des transferts vers l’étranger. S’agissant des IJM, comme promis par le Président de la République, le démarrage des paiements a débuté courant juin. Pour le reste, avec 150 000 assurés CNSS et 40 000 retraités, il est difficile d’envisager la satisfaction totale des bénéficiaires tant que les indicateurs ne seront pas tous au vert. S’agissant de la délocalisation des paiements, celle-ci a été ponctuelle, et visait à éviter la rupture de paiement des pensions pendant la grève des travailleurs qui réclamaient le paiement d’un treizième mois de salaire au titre de l’année 2022. Ainsi, pour ne pas exposer les retraités à une situation qu’ils n’avaient pas à subir, nous avons eu recours à la mise à disposition des paiements aux guichets des établissements financiers teneurs de comptes de la CNSS. La CNSS compte au moins une dizaine d’association de retraités et de syndicats de travailleurs. Malheureusement, sur le temps imparti à l’Administration provisoire, il n’a pas été possible de répondre aux attentes de tous en matière de dialogue. Il ne fait aucun doute que dans le cadre de l’instauration de la nouvelle gouvernance dans les 6 mois et la mise en place d’un plan stratégique, plus de temps pourra être consacré au dialogue.
Selon vous, la CNSS doit-elle continuer de fonctionner sous administration provisoire jusqu’à l’aboutissement de toutes les réformes engagées ou doit-elle céder, définitivement, sa gestion au secteur privé ?
L’entrée en vigueur des nouvelles dispositions du code de sécurité sociale relatives à la gouvernance marquera la fin de l’administration provisoire et l’instauration d’une gouvernance sous le format classique avec un organe exécutif et un organe délibérant qui seront constitués sans intervention de l’Etat. L’Etat continuera à assurer son rôle de garant de la protection sociale à travers le Comité de surveillance et de contrôle de l’activité des caisses et pourra légalement révoquer le conseil d’administration si la situation l’impose et assurer la gestion de la caisse à travers un comité de gestion.
Propos recueillis par Maxime Serge MIHINDOU
Libreville/Gabon