Les pays africains, à l’instar du Gabon, traversent actuellement une crise économique et financière aigue. Cette crise oblige les gouvernements à être plus inventifs et plus réactifs dans la recherche des solutions idoines pour une bonne gestion des affaires de l’Etat.
De ce fait, les gouvernements doivent rechercher par tous les moyens des solutions appropriées et mettre en œuvre les meilleurs outils pouvant leur permettre d’accroitre de manière exponentielle et soutenue les recettes budgétaires de l’Etat, pour être moins dépendants et moins vulnérables face aux bailleurs de fonds internationaux, l’endettement devenant plus cher sur les marchés et les conditions d’accès difficiles.
C’est ce qui explique le fait que de nombreux Etats africains ont instauré un visa fiscal à l’ensemble des contribuables lors du dépôt de leurs déclarations fiscales. Au Gabon, si le visa fiscal est une notion bien connue des professionnels de l’expertise comptable et de la fiscalité, tel n’est pas toujours le cas du grand public, de certains chefs d’entreprises et des membres des autres professions, peu familiers aux questions qui touchent à l’impôt. Ces catégories de personnes méritent bien d’être édifiées sur cette notion qui se trouve actuellement au centre de nombreux débats entre l’Etat, par le biais de l’administration fiscale, les professionnels de la comptabilité et de la fiscalité.
Aussi tenterons nous, à travers cet article de presse, de définir la notion de visa fiscal, comment fonctionne t- il, quelles sont les conditions nécessaires à sa mise en place au Gabon et surtout quelles sont les incidences de l’instauration du visa fiscal, pour les contribuables, pour les experts comptables et pour l’Etat. Le visa fiscal peut être défini comme étant un agrément, une autorisation que l’administration fiscale délivre aux professionnels de l’expertise comptable en vue d’effectuer des missions de contrôle des déclarations fiscales avant leur dépôt. Ces contrôles sont effectués au nom et pour le compte de l’administration fiscale.
Ils portent principalement sur les états financiers annuels de synthèse (déclaration statistiques et fiscales – DSF et déclarations annuelles des salaires – DAS). Il s’agira pour le professionnel de l’expertise comptable, de s’assurer que les états financiers présentés par le contribuable et en attente d’être déposés au centre des impôts dont il dépend sont sincères, réguliers et donnent une image fidèle de la réalité économique de ses activités. En clair, le professionnel de l’expertise comptable doit s’assurer que les résultats déclarés par le contribuable ne sont pas faux, auquel cas nous sommes en présence de l’établissement de faux bilans, ce qui constitue un délit pénal qui est sanctionné par les textes en vigueur.
Au terme de ses contrôles, le professionnel apporte ou non des ajustements c’est-à-dire des corrections aux états financiers transmis par le client, avant d’apposer sa signature et son cachet de conformité. Après avoir accompli sa mission, le professionnel de la comptabilité peut transmettre lui-même le dossier de son client par la voie numérique, via une plateforme internet dédiée (en cas de digitalisation de la transmission des déclarations fiscales) ou remettre les déclarations au client qui les transmet lui-même à l’administration fiscale. Il faut préciser que le règlement de cette prestation incombe totalement au client (contribuable). La soumission des états financiers à la procédure de visa fiscal concerne uniquement les entreprises qui ne sont pas soumises à l’obligation de désignation d’un commissaire aux comptes.
Il s’agit notamment de toutes les sociétés à responsabilité limitée (SARL, uni ou pluripersonnel), des sociétés en commandite simple et des entreprises individuelles. Les sociétés anonymes (SA, SCA et SAS) en sont exclues car elles ont l’obligation de désigner un commissaire aux comptes. Encore faut-il que le commissaire aux comptes soit désigné par les organes habilités et qu’il exerce réellement sa mission au sein de la société ou qu’il ne soit pas nommé juste pour l’accomplissement d’une simple formalité. L’instauration d’un visa fiscal au Gabon passe nécessairement par la mise en œuvre d’un certain nombre de mesures. Tout d’abord, il faut un texte juridique.
Il peut s’agir d’une loi, d’un décret ou d’un arrêté ministériel. Pour plus de pragmatisme et pour éviter la lourdeur des procédures administratives relatives à la navette entre le gouvernement et le parlement, l’instauration de ce visa peut se faire plus rapidement de deux manières. Dans une première approche, l’autorité ministérielle en charge de l’Economie en concertation avec les professionnels de l’expertise comptable, peut prendre un arrêté. Cet arrêté ministériel définira les conditions de mise en œuvre, les interventions des experts comptables (seul corps de métier habilité à contrôler la comptabilité des sociétés), les contrôles à effectuer et les résultats attendus. Il sera suivi de la signature d’une convention cadre liant les experts comptables et le Ministère de l’Economie sur la gestion du visa fiscal. La seconde approche consiste à insérer le cadre juridique du via fiscal dans le projet de loi de finances, actuellement en phase d’élaboration, au titre des nouvelles dispositions fiscales. De ce fait, le vote du projet de loi de finances pour l’exercice 2024 emportera l’instauration du visa fiscal.
Ainsi, le visa fiscal entrera en vigueur au 1er janvier 2024 et les comptes des entreprises à contrôler seront ceux arrêtés au 31 décembre 2023. Cette dernière approche nous parait très pertinente au vu de la situation actuelle du pays. De plus, elle correspond bien aux pratiques du pays en matière d’introduction de nouvelles dispositions fiscales. Ensuite, même si nul n’est sensé ignorer la loi, il faudra malgré tout, procéder à une campagne nationale de communication auprès des entreprises, dans les médias audio-visuels et la presse écrite. Cette communication aura pour but non seulement d’informer les différentes parties prenantes mais aussi de faire de l’éducation fiscale à l’endroit des chefs d’entreprises et de manière générale de la population gabonaise sur son rôle attendu dans la contribution aux charges de l’Etat et dans l’effort à la construction nationale.
Car, toute personne physique ou morale, vivant sur le territoire national et exerçant une activité économique doit payer l’impôt, selon sa capacité contributive. C’est un principe essentiel, à la base du développement économique et social des Etats modernes. Quelle que soit la voie utilisée, réglementaire ou parlementaire, l’instauration du visa fiscal au Gabon aura nécessairement des retombées positives pour les contribuables, pour la profession d’expertise comptable, pour l’administration fiscale et de manière générale pour l’Etat. En effet, l’instauration du visa fiscal au Gabon est un projet rentable, bénéfique qui produira assurément des dividendes à distribuer. Et chaque partie prenante percevra des dividendes. Dans cette distribution, les premiers dividendes seront versés sans retard aucun aux contribuables, c’est-à-dire aux sociétés.
Les entreprises y bénéficieront d’un accompagnement de qualité offert par des professionnels de haut niveau. Ainsi, les états financiers produits par les comptables salariés d’entreprises pourront recevoir quelques corrections lorsqu’ils présentent des anomalies ou des incohérences. Les corrections apportées par l’expert-comptable sur les états financiers viennent améliorer significativement la qualité des comptes du client. A côté de ce premier dividende naturel, pour ne pas dire statutaire, qui sera servi à toutes les sociétés de manière générale, le projet de répartition des bénéfices pourra servir à d’autres sociétés ayant un fonctionnement quelconque, embryonnaire ou peu orthodoxe (non tenue d’assemblées générales ordinaires, absences d’inventaires et de rapport de gestion…), un deuxième voire un troisième dividende.
En effet, au cours de sa mission de visa fiscal, le professionnel de l’expertise comptable peut être amené à découvrir des faiblesses, des fraudes, des incohérences et des traitements non appropriés dans la comptabilité du client ou de manière générale dans la gestion de la société. Le rapport qu’il fera alors à son client pourrait déboucher sur la signature de nouvelles missions pour améliorer la qualité de la gestion de la société. De même, l’expert-comptable qualifié de médecin généraliste de l’entreprise, pourrait poser un diagnostic global sur la société et identifier de nouveaux symptômes ; bases de discussions sur de nouvelles missions utiles à la croissance et à la structuration de la société. Dans tous les pays, les experts comptables et les commissaires aux comptes, appelés encore professionnels du chiffre, participent au développement de l’économie. Ils contrôlent l’économie en accompagnant les investisseurs et les chefs d’entreprises dans de nombreuses missions allant de la création d’entreprises, à la vie sociale de celles-ci, jusqu’à leur disparition.
Ce positionnement stratégique auprès des entreprises aussi bien en qualité d’expert comptables que de commissaire aux comptes leur donne une bonne connaissance tant globale que sectorielle des entreprises nationales. A partir de cet instant ils apportent une contribution significative à l’Etat, via les Ministères du Commerce, des PME/PMI, de l’Economie, des Comptes Publics et de la Justice. Au plan international, ils sont souvent consultés par le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale sur des questions ayant trait à l’économie nationale. Ainsi, pour le bien du pays et pour une économie gabonaise forte, durable et prospère, les pouvoirs publics doivent soutenir et encourager cette profession. Car le contrôle de l’économie passe nécessairement par l’existence d’une profession forte d’experts comptables et des commissaires aux comptes.
Pour ces raisons et pour bien d’autres encore, nous pensons que l’instauration d’un visa fiscal au Gabon devra permettre aux experts comptables et commissaires aux comptes de s’impliquer davantage plus fortement, bien plus que par le passé, pour participer à l’essor national. Cette contribution à l’économie nationale permettra au pays d’avoir des entreprises fortes économiquement, socialement et financièrement; des entreprises qui présenteront des bilans reflétant leur réalité économique et non pas des faux bilans, ‘’fabriqués’’ par des pseudos comptables du dimanche matin. Aussi, dans le cadre du partage des dividendes liés à l’instauration du visa fiscal au Gabon, la profession comptable ne sera pas en reste. Elle bénéficiera aussi de sa part de dividendes. Ces professionnels verront leur audience s’accroitre davantage auprès des entreprises et de l’opinion publique.
La profession du chiffre connaitra réellement son envol, dans un pays où la tenue d’une comptabilité quoique rendue obligatoire par la loi et les règlements, est reléguée à l’arrière-plan par les chefs d’entreprises, où les entreprises sollicitent très peu ses services, même lorsqu’elles sont dans une extrême nécessite. Avec le visa fiscal les entreprises ne feront plus recours à un expert-comptable uniquement pour une mission de certification des comptes suite à une demande de financement bloquée, voire rejetée par le comité de crédit d’une banque pour la qualité douteuse des états financiers produits et présentés pour soutenir cette demande ou pour jouer le pompier, ou suite à un contrôle fiscal qui a causé d’énormes dégâts dans la société. Enfin, pour la prise en charge de la mission de visa fiscal, les professionnels de l’expertise comptable doivent massivement recruter et former des jeunes diplômés de l’enseignement supérieur à la recherche d’emplois.
La profession d’expertise comptable connaîtra une explosion en matière de création d’emplois dans le pays. Au regard du nombre important d’entreprises existant dans le pays et des besoins en matière d’obtention du visa fiscal, nous estimons à près d’un millier le nombre d’emplois directs qui seront créés à terme dans le secteur. C’est une contribution non négligeable que la profession va apporter aux pouvoirs publics, dans la lutte contre le chômage des jeunes diplômés, frais émoulus des universités et grandes écoles. Enfin, l’instauration du visa fiscal au Gabon apportera une motivation supplémentaire chez les jeunes étudiants qui embrasseront le métier d’expert-comptable. Et, de nombreux jeunes iront alors se former (au Gabon comme en France) pour devenir experts comptables et s’installer à leur propre compte en ouvrant des cabinets d’expertise comptable, après avoir satisfait aux obligations communautaires (obtention de l’agrément CEMAC) et ordinales (inscription à l’Ordre).
L’administration fiscale, l’Etat et le pays tout entier tireront aussi profit dans ce partenariat. D’abord, par la réduction du volume de travail liée elle-même à la diminution du nombre des contrôles à effectuer sur les déclarations fiscales déposées. Les contrôleurs du fisc se passeront désormais de tous les contrôles de cohérences, de matérialité et de recoupement de l’information qui sont généralement effectués en interne après la réception d’une déclaration fiscale. Etant libérés d’une charge importante de travail ces agents publics chargés de la gestion de l’impôt orienteront leurs travaux vers d’autres pans de leur métier, notamment le suivi efficace et régulier des contribuables, le recouvrement de l’impôt auprès des contribuables, le renforcement des contrôles fiscaux sur place et sur pièces et bien d’autres tâches qui entrent dans leur métier et pour lesquelles ils manquaient jusque-là d’efficacité sur le terrain. Ensuite, le visa fiscal viendra augmenter considérablement le niveau des recettes fiscales du pays. En effet, sans euphorie aucune, nous pensons que techniquement et objectivement, l’avènement du visa fiscal permettra de booster les recettes fiscales dans le budget de l’Etat.
Même si aujourd’hui ces recettes sont en constantes augmentations, passant de 1 373 milliards en 2022 à 1 532 milliards en 2023, nous pensons que selon nos études, ces recettes pourraient augmenter à près de 40%, pour se situer à 2 144 milliards en 2024, et à près de 3 000 milliards en 2025. Toutefois, pour y parvenir, l’Etat doit prendre des mesures coercitives et punitives (sans pourtant tuer la poule aux œufs d’or) à l’encontre des contribuables réfractaires et faisant preuve d’incivisme fiscal. La mise en place du visa fiscal doit permettre à l’Etat d’atteindre sans conteste des niveaux de recettes fiscales jamais égalés dans le pays ! Enfin, l’administration fiscale gagnerait aussi davantage non seulement en notoriété mais également en respectabilité auprès des contribuables véreux et inciviques, habitués aux passes droits et devenus champions dans la fraude fiscale. En conclusion, nous interpellons vivement les pouvoirs publics sur la nécessité d’instaurer un visa fiscal au Gabon.
C’est un projet d’envergure et porteur d’espoirs pour l’économie nationale. Il permettra aux experts comptables en nombre suffisant aujourd’hui, de contrôler, corriger puis valider les déclarations statistiques et fiscales des entreprises avant leur dépôt dans les différents centres d’impôts, ce qui améliorera davantage la qualité des bilans des entreprises produits au Gabon (fiabilisation), au grand bonheur des banques commerciales, du Fonds Monétaire International (FMI) et de la Banque Mondiale. Il permettra également de créer des emplois en nombre important aux jeunes diplômés dans les cabinets d’expertise comptable et surtout, il permettra d’accroitre considérablement et suffisamment les recettes fiscales de l’Etat.
Georges Alain BOULINGUI YEMBI
Expert-comptable Mémorialiste, Manager au Cabinet FIGA Conseil AEC, Enseignant à l’Institut National des Sciences de Gestion.