De l’origine de la flambée actuelle du prix du blé aux conséquences sur la production nationale de farine et ses répercussions sur le prix du pain, des pâtes alimentaires et autres, le directeur général de la Société meunière et avicole du Gabon (SMAG), Bruno Lardit, tire la sonnette d’alarme, en invitant les pouvoirs publics à adopter des mesures urgentes.
L’Union : Les cours du blé ont flambé de près 40% depuis la crise russo-ukrainienne. Quelles sont les conséquences de cette situation sur le marché international ?
Bruno Lardit : Après une importante hausse de 45% au cours de l’année 2021, le coût de la tonne de blé français est effectivement passé ces dernières semaines de 265 € (173 575 francs) en janvier jusqu’à 420 € (275 000 francs) début mars 2022 (marché Euronext MATIF) et semble se stabiliser ces derniers jours autour de 380 €. Soit plus qu’un doublement du prix du blé par rapport à la moyenne constatée des 5 dernières années. Ce phénomène s’explique par la place prépondérante qu’occupent aujourd’hui la Russie et l’Ukraine sur le marché international. La production mondiale de blé représente annuellement 780 millions de tonnes dont 190 Millions sont destinées à l’exportation. Depuis 2018, la Russie est devenue le premier exportateur mondial et représente, avec l’Ukraine (5ème exportateur), 30% du total de ces exportations. La zone de la Mer noire est ainsi devenue le principal bassin d’exportation de blé du monde et alimente la plus grande partie des besoins des minoteries du continent africain. Les conditions sécuritaires qui prévalent aujourd’hui entre la Russie et l’Ukraine ne permettent plus aux armateurs d’affréter normalement des navires pour charger les céréales depuis les ports de la Mer noire, rendant cette source d’approvisionnement presque totalement indisponible pour les importateurs.
*Que va-t-il se passer alors ?
Certains autres pays producteurs limitent leurs exportations et protègent leur marché domestique. Les très fortes hausses de ces derniers jours montrent que le marché des céréales anticipe une tension importante sur la disponibilité du blé dans les prochaines semaines voire les prochains mois. En effet, si la situation perdure jusqu’à la fin de la prochaine campagne (juillet-août 2022), on estime à près de 15 millions de tonnes la quantité de blé qui pourrait ne pas être chargée depuis les ports de la Mer noire. Compte tenu de ces volumes, il semble peu probable que les autres pays exportateurs, comme la France, puissent se substituer totalement à court terme à la Russie et à l’Ukraine. Certains pays producteurs de blé, comme la Hongrie, la Bulgarie et la Turquie, ont par ailleurs pris la décision de limiter leurs exportations afin de sécuriser leurs besoins sur leur marché intérieur.
*Que peut-on craindre de cette hausse vertigineuse sur le prix du sac de farine produit au Gabon ?
Le blé peut représenter jusqu’à 80% du coût de fabrication de la farine. La hausse continue du blé que nous connaissons depuis plus d’un an maintenant a donc un impact direct sur le prix de la farine qui aurait dû logiquement augmenter dans les mêmes proportions ; c’est-à-dire passer de 16 000 FCFA pour un sac de 50 kg jusqu’à près de 29 000 FCFA avec la crise actuelle ! Pour préserver le panier de la ménagère et le prix du pain, le gouvernement n’a cependant pas souhaité qu’une telle répercussion se fasse et a bloqué les prix depuis plusieurs mois. Après un premier compromis transitoire trouvé au mois de janvier dernier avec un prix limité à 19 000 FCFA le sac, il est nécessaire aujourd’hui de mettre en place des mesures fortes pour que l’on puisse toujours produire de la farine. En effet, à très court terme, bloquer les prix de la farine avec une telle envolée du prix du blé, c’est risquer de ne plus avoir les moyens de payer le blé nécessaire au renouvellement suffisant des stocks, ce qui pourrait conduire in fine à une pénurie, un scénario que nous souhaitons tous éviter. Tout dépend donc maintenant de la politique que le gouvernement souhaite mettre en place. Si des pays voisins, comme le Cameroun, ont déjà procédé à une hausse significative de la farine (24 000 FCFA le sac de 50 kg) et du pain (baguette à 150 FCFA), les autorités ont souhaité entamer ici des discussions avec les opérateurs du secteur pour voir comment faire face au problème. La seule chose que nous souhaitons est que les solutions qui seront retenues puissent se mettre en place le plus rapidement possible. Il y a urgence.
*Beaucoup de consommateurs craignent une augmentation mécanique des produits fabriqués à base de farine ? Est-ce légitime de le penser ou bien vous disposez des stocks nécessaires pour en atténuer provisoirement les effets ? Les produits importés fabriqués à base de farine de blé (pâtes, biscuits, etc…), et vendus dans nos grandes surfaces, connaissent déjà une augmentation significative. Cette augmentation va se poursuivre dans les prochaines semaines au fur et à mesure que les stocks de blé, achetés avec les prix précédents, vont finir d’être consommés. Cela est tout à fait logique et même les pays producteurs, voire autosuffisants en blé, subissent déjà ce phénomène, y compris sur le pain. C’est pourquoi certains ont décidé de limiter leurs exportations de blé pour contenir l’inflation. Pour les produits fabriqués localement au Gabon, dont la baguette de pain, cela dépendra de l’action des autorités pour soutenir la filière (minoterie et boulangerie) et lui permettre d’absorber les hausses de prix des tout prochains arrivages de blé, c’est-à-dire dès ce mois d’avril.
Propos recueillis par Maxime Serge MIHINDOU
Libreville/Gabon